Par Alexis Sierra, le 2 Mai 2021.
Confinement et couvre-feu sont des mesures devenues classiques dans la lutte contre la pandémie. Ils se déclinent cependant différemment d’un pays à l’autre et d’une période à l’autre. La Tunisie offre deux exemples d’inventivité adapté aux circonstances.
Le premier est le confinement général appliqué du jeudi 14 au dimanche 17 janvier, doublé d’un couvre-feu renforcé, à 16h. Pour le ministère de la Santé, le jeudi 14 étant férié, ce long week-end aurait été l’occasion de voyages, de retrouvailles familiales et de fêtes nocturnes synonymes de recrudescence des contaminations. Avec le recul, la sincérité de cet argument interroge puisque ce type de confinement de trois jours n’a pas été réédité depuis, malgré des niveaux de contamination et d’hospitalisation supérieurs à partir de la mi-avril, et alors que le pays a connu d’autres jours fériés (jour de l’Indépendance et jour des Martyrs). La décision de prendre des mesures drastiques pour des raisons sanitaires a sans doute été facilité par la peur de mouvements de protestations et d’émeutes, à l’occasion de l’anniversaire de la révolution du 14 janvier 2011. Le pays vit en effet une situation économique et sociale particulièrement difficile, qui se traduit dans les enquêtes d’opinion, d’une part, par la nostalgie de l’ancien régime, et, d’autre part, par une défiance envers la classe politique accusée d’avoir trahie les promesses de la révolution. La décision d’instaurer un confinement général et un couvre-feu à 16h a cependant eu l’effet inverse de celui escompté, puisqu’en empêchant les habitants de travailler, et en mettant sur le pays une nouvelle chape de plomb sécuritaire, il a exacerbé les frustrations. Plusieurs émeutes ont éclaté, dans plusieurs villes et en périphérie de la capitale, provoquant l’arrestation de plus de 600 jeunes. Dès le lundi, le couvre-feu revenait comme prévu à 20h. Les conséquences pour la gestion de la pandémie sont doubles : non seulement le gouvernement est suspecté d’instrumentaliser la situation sanitaire à des fins politiques et sécuritaires, mais il est devenu depuis plus difficile de prendre des mesures de confinement et de couvre-feu par peur d’une explosion sociale. C’est ce dont témoigne le deuxième exemple.
Le jeudi 8 avril, le gouvernement tunisien a annoncé le passage du couvre-feu de 22h à 19h pour faire face à la recrudescence des contaminations et des décès laissant présager une troisième vague. Dès le samedi, sous la pression de différents groupes, le gouvernement recule : comme le mois de Ramadhan commençait cinq jours plus tard, la rupture quotidienne du jeûne, peu après 19 heures, est l’occasion de retrouvailles familiales et d’une intense vie citadine, notamment dans les cafés et les restaurants. Face à cette tradition et à l’activité commerciale qu’elle génère, difficile de maintenir l’idée d’un couvre-feu généralisé dès 19h. Néanmoins, la détérioration de la situation sanitaire imposait de limiter les occasions de contagion. Aussi, le 17 avril, le gouvernement a-t-il décidé d’interdire la circulation de tous les véhicules à moteur dès 19h. Sont ainsi concernés les automobiles dont les taxis, les motocyclettes et scooters, les transports en commun de tout type. Dans ces conditions, difficile de s’éloigner du domicile. Par ce biais, le gouvernement a instauré une sorte de couvre-feu qui ne dit pas son nom ou de couvre-feu de la mobilité motorisée. Ne reste alors plus qu’à se déplacer à pied, à vélo… ou à cheval ! Ce qui est effectivement possible jusqu’à 22h. L’application de ce couvre-feu n’en reste pas moins difficile : si des contrôles existent sur les grands axes, des voitures particulières et des taxis circulent dans
les voies secondaires.
Ces exemples révèlent les rapports de pouvoir internes : L’État tunisien ne pouvant réellement compenser l’impact économique et social des mesures sanitaires, il est obligé de composer avec les acteurs économiques et avec la population. Un jeu de négociation s’opère alors dans l’application nationale ou locales de mesures diffusées mondialement, et considérées comme nécessaires par le secteur de la santé. Cette déclinaison de recettes internationales (et anciennes) produit ainsi un pluriversalisme dans la gestion de la pandémie qui tienne compte du contexte social et économique de chaque pays.