Chronique urbaine Marie Morelle (UMR Prodig - IRD - Fondation Paul Ango Ela) Cameroun
Le 13 avril, le port du masque est devenu obligatoire dans les espaces publics. Plusieurs semaines auparavant, le ministre de la Santé avait invité à se couvrir le nez et la bouche. A compter de cette date, toutes sortes de masques ont donc fleuri sur les visages des habitants de Yaoundé : les masques bleus pour les hommes et femmes en tenue, quelques masques chirurgicaux, d’autres en wax, enfin des foulards ou morceaux de tissu. Si dans certains secteurs, soumis au contrôle policier, ils sont correctement portés afin d’éviter une amende de 6000 francs cfa (pour absence de masque) ou de 3 000 francs cfa (pour port impropre), il n’est pas rare de repérer ces tissus posés davantage sur le menton que sur la bouche et le nez. Ils tiennent chaud, donnent le sentiment de ne pas se faire entendre et de mal respirer… il n’est pas devenu un prolongement du corps. Plus frappant, il semble souvent abandonné un fois réfugié entre les frontières du quartier, ce dernier étant sans doute perçu comme une enveloppe protectrice. Ainsi n’est-il pas rare de voir quelques amis attablés autour d’une bière, posée sur une table de fortune, avec le masque, encore une fois, descendu au menton… de même, en dépit des bars et des restaurants fermés dès 18 heures, des « mamans » se blottissent à deux ou trois pour braiser du poisson en soirée, à même le trottoir, le long des grandes avenues, le plus souvent sans masque… et sans parler bien entendu des situations de promiscuité à l’échelle des sous-quartiers ou des maisonnées, parfois de certains marchés…Ces atmosphères urbaines contrastent avec un paysage numérique saturé de messages de prévention, chez Orange, Camtel et MTN, par textos ou annonces vocales, lesquelles précédent toute sonnerie du numéro composé… Se protéger n’a pas cessé d’être un luxe.

Tandis que l’on est invité à se cacher derrière un tissu, les rumeurs ont égrené l’actualité du Covid-19 quant à qui et quoi se cacherait, voire même disparaitrait … Ainsi, certains militants de partis politiques d’opposition (le Mouvement de la Renaissance Camerounaise – MRC - de Maurice Kamto en tête) ont demandé où était le président de la République, en appelant déjà à constater la vacance du pouvoir. C’est à l’occasion d’une audience très médiatisée - pour ne pas dire controversée - avec l’ambassadeur de France que le Président lui-même est apparu. De même, peut-on lire diverses interrogations sur les réseaux sociaux quant au devenir des dons réceptionnés par le Ministère de la Santé et annoncés sur le site de l’institution. Si la suspicion est généralisée dans la relation entre les Camerounais et leur État, on notera aussi au passage combien dons, réaffectations de subventions, moratoires synthétisent parfaitement quels opérateurs économiques sont influents (ou veulent l’être) sur le territoire national (Nestlé, Société Générale, etc.), et quels États se disputent la préséance sur la scène de ce qu’il est convenu d’appeler la Global Health, entre les États-Unis, la France, ou encore la Turquie et la Chine accompagnée de son milliardaire Jack MA (pour ne citer que ces derniers, sans compter les organisations internationales et banques de développement).
Pendant ce temps, le virus, délicat à démasquer à son tour, circule et se déplace bel et bien. À la fin du mois d’avril, il touche 9 régions sur 10. Dans le même temps, la communication du ministère de la Santé a connu des inflexions : il n’est désormais plus possible de connaitre le nombre de cas dans les grandes villes du pays, sauf à tenir une comptabilité minutieuse entre nouveaux cas parfois annoncés et géocalisés, anciens cas et guérison… Le risque d’erreur est important. On doit le plus souvent composer avec les chiffres régionaux mais surtout nationaux. Ce sont par contre le nombre de décès et de guérisons qui sont communiqués. Quant en mars, on pistait encore les cas pour isoler et couper les chaines de transmission, en avril, on dépiste, on déclare avoir le souci de soigner et on compte les réussites comme les échecs. On encourage les soignants dont on dénombre aussi les décès. On dresse les inventaires des extracteurs d’oxygène, kits d’extraction, thermoflash acquis. L’épidémie est là, le changement de stratégie aussi.

Le Cameroun a en effet déclaré misé sur des campagnes de dépistage massives annonçant la réception de tests, mais aussi leur fabrication locale. Il n’est plus question seulement d’individus et de « cas importés » à isoler mais de dépister, de soigner « à l’intérieur de la communauté » (c’est-à-dire au sein de la population camerounaise elle-même). Il y a ainsi eu dès la fin mars des campagnes de dépistage à Douala. En cette fin avril, le pays annonce vouloir déployer une stratégie de décentralisation des tests, en renforçant les capacités de laboratoires régionaux en lien avec le développement de centres spéciaux de prise en charge de patients, conçus comme des annexes aux hôpitaux que l’on veut se garder d’engorger en cas de pics épidémiques.
Plus de 1600 cas à la fin du mois d’avril (1705 cas le 28 avril), quand le pays en comptait 1 fin février… Qui a de la fièvre ? Qui se rend chez un médecin ? Qui ose, ou n’ose pas, appeler le 1510, le fameux numéro vert ? Que se jouera-t-il dans les prochaines semaines entre les murs des nouveaux centres de prise en charge ? Quelle est la capacité avérée de tester entre disponibilité des kits et des personnels ? Le 15 avril, un décret présidentiel a permis la commutation de peines de certains condamnés, facilitant en conséquence la libération de certains détenus à des fins de lutte contre la surpopulation, dangereusement contre-productive en contexte de « distanciation sociale ». Le 24 avril, le ministre de la Santé indiquait qu’« après le dépistage systématique des personnes revenues au Cameroun depuis le 17 mars 2020, le lancement de la campagne de dépistage massif, nous avons pris l’option de dépister toutes les personnes bénéficiant de la mesure d’élargissement du Chef de l’Etat à la faveur du décret portant commutation de peines d’emprisonnement. Ces trois opérations de dépistage ont permis de déceler plus de 80% des personnes positives à ce jour, la part belle étant revenue aux passagers en quarantaine, ainsi que les personnes récemment sorties de prison. Pour cette dernière catégorie, il faut dire que le taux de prévalence des personnes testées est évalué à environ 70%. » La prison sera-t-elle celle par laquelle la réalité de l’épidémie sera démasquée ?
Yaoundé, le 28 avril